Baguette de tradition pointage retardé

Elle aurait pu s’appeler la baguette d’Yves-Marie. Il s’agit d’un merveilleux boulanger, rencontré un peu par hasard, au cours de vacances en Bretagne. Tous les produits vendus dans sa boulangerie sont fabriqués par lui, et lui seul. Non par goût, mais parce qu’il devient difficile de trouver du personnel qualifié et fiable. Donc, disais-je, il fait tout : pains de tradition, pains spéciaux, tourte de seigle, viennoiseries, gâteaux, sandwiches et autres snacking. Et le plus extraordinaire est que tout ce qu’il fait est remarquable. J’ai été particulièrement séduit par sa baguette de tradition (voir la note au bas de page). Malgré sa charge de travail, il a eu la gentillesse de me recevoir et de répondre à mes questionnements. La recette ci-dessous est le résultat de mes tentatives, corrigées à distance au fur et à mesure par Yves-Marie. Jamais je n’aurais pu parvenir à un tel résultat sans son aide bienveillante. Alors, un très grand merci à lui, pour sa patience vis à vis d’un amateur qui est aux anges d’avoir réussi une telle recette (après une vingtaine de tentatives…).

Ingrédients, pour 4 petites baguettes :

500 g de farine de tradition T65 Moulin Pichard 11% de gluten

10 de sel non traité

3 g de levure fraîche

315 g d’eau de coulage

40 g d’eau de bassinage

Température de base : 60 °C

TH initial : 63% – TH final : 71%

Cette recette se fait au robot pétrin équipé du crochet pétrisseur.

La veille :

Frasage

Peser la farine et préparer l’eau de coulage en respectant la température de base. S’aider de cet article.

Verser l’eau, puis la farine dans le bol du robot.

Pétrir 5 minutes à vitesse 1 (Vmin pour moi).

Une fois la pâte homogène, la filmer au contact et observer une autolyse de 60 minutes.

Pétrissage

Peser le sel et la levure fraîche.

Émietter la levure sur la pâte et faire tourner le robot à V1 jusqu’à ce qu’elle soit intégrée (1 minute).

Ajouter le sel et pétrir toujours à V1 pendant 4 minutes.

Tout en laissant tourner le robot à vitesse 1 (Vmin pour moi), commencer à verser l’eau de bassinage (environ 8 g). Il faut attendre que la première eau soit complètement absorbée et que la pâte se décolle entièrement des parois du bol pour ajouter la dose suivante, d’environ 8 g. Il m’a fallu verser l’eau en 5 fois pour un temps total de bassinage de 13 minutes.

Passer à la vitesse 2 (V1 pour moi) pendant 2 minutes pour finir de décoller la pâte des parois du bol.

Pour résumer le pétrissage depuis le début :

  • Frasage eau + farine : 5 minutes à V1 (Vmin pour moi)
  • Autolyse : 60 minutes, pâte filmée.
  • Ajout de la levure émiettée.
  • Pétrissage à V 1 : 1 minute.
  • Ajout du sel sans arrêter le robot.
  • Pétrissage à V1 : 4 minutes
  • Début du bassinage sans arrêter le robot, en 5 versements pour moi.
  • Fin du bassinage à V1 : 13 minutes
  • Pétrissage à V2 (V1 pour moi) : 2 minutes

Soit un temps total de pétrissage, hors frasage et autolyse : 1 + 4 + 13 + 2 = 20 minutes

La pâte doit être parfaitement décollée des parois du bol à la fin du pétrissage.

Elle est lisse et d’aspect satiné.

Faire le test du voile (Windowpane) : ici, il est parfait.

Température de la pâte en fin de pétrissage : 23,7°C (température ambiante 22,6 °C).

Un test du voile (« Window Pane ») parfait !
Pointage.

Fariner le plan de travail généreusement.

Verser la pâte sur le plan de travail en s’aidant d’une corne. Elle est collante, c’est normal.

Glisser la corne sous une partie de la pâte et la rabattre vers le centre pour la rassembler.

Faire de même sur les autres cotés.

Enfin, retourner la pâte et la bouler sur le plan de travail : ce geste lui redonne de la force.

Transférer la pâte dans un récipient rectangulaire (en Pyrex pour moi), fermer hermétiquement avec son couvercle et laisser reposer 30 minutes à température ambiante (22,6°C pour moi).

Faire un rabat mains mouillées dans le récipient : on saisit la pâte par le milieu, on l’étire vers le haut et on la rabat sur elle-même. Faire ceci plusieurs fois jusqu’à qu’elle se décolle du récipient et qu’elle forme une boule grossière. On voit qu’elle a repris de la force après ce rabat et qu’elle « se tient ». Les anglosaxons appellent ce rabat « Coil Fold », ou « pli en bobine ».

Laisser reposer la pâte 30 minutes.

Faire un rabat mains mouillées dans le récipient comme ci-dessus.

Refermer le couvercle et mettre la pâte au réfrigérateur à 5°C pour la nuit (j’ai mis la pâte dans ma chambre de fermentation à 18h10).

Le jour J

Faire préchauffer le four à 260°C, sole et voûte, avec une pierre à pain au niveau 1 (le plus bas) et une lèchefrite glissée au-dessous. La pierre doit chauffer au moins 1 heure avant l’enfournement.

Fariner le plan de travail.

Sortir la pâte du réfrigérateur : je l’ai sortie à 10h45. On a relativement le choix du début de cette partie, la pâte pouvant rester au réfrigérateur de quelques heures jusqu’à 40 heures. Je l’ai laissée une fois 38 heures sans aucune incidence sur le résultat final, bien au contraire. Aujourd’hui, elle est restée dans le réfrigérateur pendant 16h30.

Division

Peser la pâte dans son récipient.

Fariner le dessus de la pâte, et à l’aide d’un coupe-pâte ou d’une corne, l’aider à sortir du récipient délicatement. L’idée est de la dégazer le moins possible et de faire en sorte que le dessus de la pâte se retrouve à l’envers sur le plan de travail (donc le « beau coté » vers le bas).

Peser le récipient seul. Par différence, on obtient le poids de pâte. Ici : 870 g.

Pour 4 baguettes, cela donne donc un poids de ≈217 g pour chaque pâton.

Diviser, au jugé, en 4 parties à peu près égales.

Peser chaque pâton, puis égaliser les poids respectifs en prenant des morceaux de pâte aux pâtons les plus lourds pour les transférer au centre de chaque pâton plus petit.

Mise en forme

Cette opération, qui peut paraitre secondaire, est pourtant très importante car elle va avoir une grande incidence sur le façonnage final. La principale qualité recherchée sera la régularité du pâton. Une mise en forme irrégulière ou bâclée entrainera un façonnage déséquilibré, difficilement rattrapable.

On en profitera en fonction de la ténacité de la pâte (tendue ou relâchée), pour lui redonner un peu de force en tendant plus ou moins la surface extérieure du pâton.

Le pâton ayant sa face lisse coté plan de travail, on le replie sur lui-même en une forme oblongue en tendant légèrement sa surface extérieure. Rentrer un peu les bords extérieurs si besoin. Souder la jointure en la pinçant entre les doigts.

Déposer chaque pâton sur une couche farinée, coté soudure vers le bas.
Couvrir et laisser reposer 60 minutes à température ambiante : c’est la détente.

Façonnage

C’est la manipulation du pâton qui lui donne sa forme définitive. C’est la dernière opportunité pour lui donner un peu de tension avant la cuisson.

J’ai pris l’habitude de façonner sur un « feutre » de boulanger. En réalité, j’ai collé une toile de lin (qui sert habituellement de « couche ») de manière bien tendue sur un planche de bois, à l’aide d’une colle « repositionnable ». C’est très efficace pour que toile soit très bien tendue, sans aucun pli. Il n’est pas utile de fariner avec ce dispositif.

Fariner le dessus du pâton.

Retourner le pâton sur le plan de travail.

L’aplatir, mais sans le dégazer, avec la paume de la main bien à plat.

Replier le haut vers le centre et fermer la soudure du talon de la main.

Retourner le pâton de 180° et faire la même pliure. On se retrouve avec un pâton oblong avec un creux au milieu.

Avec le pouce au centre du pâton, replier le haut du pâton sur le bas à l’aide de l’index, et souder du talon de la main.

En partant du centre, avec les mains bien à plat, faire un mouvement de va et vient tout en écartant les mains vers les extrémités : on allonge le pâton sans le dégazer.

Terminer en affinant les extrémités.

Apprêt

Préparer une feuille de cuisson au format de la pelle à pain et la poser sur la pelle à pain.

Transférer les pâtons façonnés directement sur la pelle à pain, soudure vers le bas, en s’aidant d’une planchette en bois si besoin est.

Couvrir les pâtons.

Observer un apprêt à température ambiant de 5 à 15 minutes.

Cuisson

A l’aide d’une lame de rasoir, faire une grigne le long de la baguette et tenant la lame inclinée à 30°.

Enfourner les pâtons en les faisant glisser de la pelle sur la pierre à pain.

Verser immédiatement 30 ml d’eau bouillante dans la lèchefrite et refermer aussitôt la porte du four.

Cuire de 18 à 20 minutes (18 minutes pour moi).

Défourner et laisser refroidir sur grille.

Température interne en fin de cuisson : 97,9 °C

Poids d’une baguette après cuisson : 175 g, soit 20% de perte d’eau.

Longueur de la baguette cuite : 35 cm.

Note :

La baguette de tradition française, de meilleure qualité gustative que la baguette classique, est réalisée à base de farine de tradition française, sans aucun additif, et avec 4 ingrédients seulement : farine, sel, agent levant et eau. Elle peut être réalisée selon 2 méthodes : en fermentation directe ou en fermentation différée. En fermentation directe, toutes les opérations de panification sont réalisées le même jour : pétrissage, pointage, façonnage, apprêt et cuisson. La fermentation différée (ou pousse contrôlée) consiste à contrôler la fermentation en accélérant ou en ralentissant l’activité des ferments de la pâte. Elle se déroule sur 2 jours, ce qui apporte un confort au boulanger, amateur ou professionnel, en permettant un retard de la cuisson de 5 à 48 heures selon la méthode utilisée. Elle comporte 3 méthodes principales :

  • Le pointage retardé consiste en un pointage très long, de 8 à 24 heures, voire plus en fonction de la quantité de levure, à une température de 4 à 6°C. La pâte pétrie l’après-midi peut ainsi être façonnée et cuite le lendemain matin.
  • La pousse lente consiste en un apprêt des pâtons façonnés qui s’opère lentement, entre 10 et 12°C.
  • La pousse avec blocage concerne l’apprêt des pâtons façonnés dont la pousse est bloquée à 4°C pendant 24 à 48 heures. L’apprêt est réalisé quelques heures avant la mise au four en programmant la réchauffe de l’enceinte de fermentation.

Ces deux dernières méthodes nécessitent une pâte ferme (une pâte douce risque de s’affaisser ou de voir l’apparition de pustules), ne dépassant pas 23°C en fin de pétrissage. Le pointage ne dure qu’une quinzaine de minutes afin de limiter le départ de la fermentation.

Les boulangers professionnels utilisent d’autres méthodes, comme le pré-poussé bloqué et les différentes méthodes de surgélation qui n’ont aucun intérêt pour le boulanger amateur.

Pour nous, amateurs, c’est le pointage retardé qui est le plus couramment utilisé. En plus, il améliore le goût du pain en permettant le développement des composés aromatiques pendant la longue période de fermentation. C’est cette technique, souvent privilégiée pour la baguette de tradition, qu’utilise Yves-Marie, et qu’en conséquence, j’utilise aussi.

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