La gélatinisation de la farine à chaud provoque une réaction irréversible de la structure du grain d’amidon lui permettant d’absorber 2,5 fois plus d’eau que de coutume. L’empois ainsi formé est mélangé à la pâte à pain pour obtenir un moelleux particulier et une meilleure conservation.
En effet, pour qu’un pain soit moelleux, il faut beaucoup d’humidité dans la pâte. Si on lui ajoute seulement de l’eau, la pâte deviendra vite collante et impossible à manipuler. En utilisant la gélatinisation de l’amidon, on a transformé une partie de la farine en une pâte (un empois), qui, mélangée à la pâte à pain rend celle-ci beaucoup plus hydratée sans avoir eu à ajouter de liquide directement.
De la même manière, la pâte finale contenant plus d’humidité, le pain se conservera plus longtemps : 48 heures après sa fabrication, le pain « gélatinisé » est encore très moelleux.
La gélatinisation de l’amidon est un phénomène très complexe car il varie selon beaucoup de critères tels que l’origine de l’amidon (blé, maïs, etc), la température, le pH du milieu, etc. La température de gélatinisation varie également beaucoup, typiquement de 55 à 85°C selon le type d’amidon.
Lorsque l’amidon est gélatinisé, ses molécules ont perdues leur structure cristalline et elles s’hydratent en une solution visqueuse. En refroidissant, ces molécules ont tendance à se réorganiser sur une période plus ou moins longue (quelques heures à quelques jours) pour former un gel, avec une perte d’eau. C’est ce phénomène que l’on appelle la rétrogradation. Il est accentuer entre -8 et +8°C. En boulangerie, on aura donc intérêt à utiliser un empois d’amidon une fois qu’il aura refroidi à température ambiante (pour ne pas perturber la fermentation), sans attendre au-delà de 6 heures après sa création.
La gélatinisation de l’amidon est certes connue en Europe, mais ce sont les asiatiques, en particulier les japonais, qui ont popularisés son utilisation dans la fabrication du pain. C’est ainsi que deux méthodes sont utilisées pour faire un « roux à l’eau » par rapport à un roux classique utilisant de la farine et un corps gras (beurre) : la méthode yudane et la méthode tangzhong.
> La méthode yudane : c’est un ébouillantage
- On utilise 20% de la farine de la recette.
- Le ratio farine/eau est 1:1.
- On verse l’eau bouillante d’un coup sur la farine et on remue sans cesse jusqu’à disparition de la farine libre.
- La pâte échaudée s’ utilise au minimum 4 heures après et jusqu’à 12 heures.
> La méthode tangzhong : c’est une cuisson
- On utilise 5 à 10% de la farine de la recette, souvent 7%.
- Le ratio farine/eau est de 1:5.
- On mélange dans une casserole à froid l’eau et la farine jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de grumeaux, puis on chauffe à feu doux jusqu’à ce que le mélange épaississe et qu’il prenne la consistance d’une pâte à chou. La cuillère doit laisser une trace apparente sur le fond de la casserole. La température doit être au minimum de 65°C. La pâte s’utilise une fois refroidie, environ 6 heures après sa fabrication et jusqu’à 12 heures.
> Convertir une recette classique en version « gélatinisée »
Il est possible de transformer n’importe quelle recette de pain ou de brioche en version avec tangzhong ou avec yudane.
Quantité de farine et d’eau pour faire le yudane
- Farine : elle représente 20% du poids de farine de la recette.
- Liquide : prendre le même poids de farine du yudane.
Prenons l’exemple d’une recette de pain impliquant 500 g de farine et 335 g d’eau (TH = 0,67).
Pour faire le yudane :
- On prend 20% du poids de la farine, soit (500 x 20)/100 = 100 g.
- Pour l’eau, on prend le même poids que la farine, soit 100 g d’eau.
Pour faire la pâte :
- Farine : on a utilisé 100 g de farine pour le yudane, il reste donc 500 – 100 = 400 g de farine pour faire la pâte.
- Eau : On a utilisé 100 g d’eau pour faire le yudane, il reste donc 335 – 100 = 235 g d’eau pour faire la pâte.
Les autres ingrédients de la recette restent ceux de la recette d’origine.
Quantité de farine et d’eau pour faire le tangzhong
- Farine : elle représente entre 5 et 10% du poids de farine de la recette. Plus le pourcentage est élevé et plus la pâte sera collante et plus il faudra pétrir longtemps. 5% est une bonne base de départ.
- Liquide (eau, lait…) : multiplier le poids de farine par 5 pour obtenir le poids de liquide.
Prenons l’exemple d’une recette de pain impliquant 500 g de farine et 335 g d’eau (TH = 0,67).
Pour faire le tangzhong :
- On prend 5% du poids de la farine, soit (500 x 5)/100 = 25 g.
- Pour le liquide, on prend 5 fois la quantité de farine du tangzhong, soit 25 x 5 = 125 g d’eau.
Pour faire la pâte :
- Farine : on a utilisé 25 g de farine pour le tangzhong, il reste donc 500 – 25 = 475 g de farine pour faire la pâte.
- Eau : On a utilisé 125 g d’eau pour faire le tangzhong, il reste donc 335 – 125 = 210 g d’eau pour faire la pâte.
Les autres ingrédients de la pâte restent ceux de la recette d’origine.
Les deux méthodes ont leurs aficionados et leurs détracteurs. Mais dans les 2 cas, quand on suit bien les instructions, on obtient un résultat vraiment enthousiasmant. La technique de la gélatinisation de l’amidon a déjà été employée dans certaines recettes de ce site : pâte à pizza romana (yudane), crêpes feuilletées (tangzhong « modifié »), galettes moelleuses du roi Arthur (yudane) ou le pain de mie anglais (yudane).
On prêtera attention à quelques points :
- Utiliser la pâte gélatinisée une fois refroidie, mais pas au-delà de 12 heures après sa fabrication pour éviter une rétrogradation. J’ai sorti un tangzhong du réfrigérateur après 19 heures, et j’ai constaté qu’il « nageait » dans son eau, preuve que la rétrogradation avait bel et bien débutée, aggravée par la basse température. C’est dommage…
- Certains préconisent d’ajouter la pâte gélatinisée une fois que le réseau de gluten de la pâte principale soit constitué. Je n’ai jamais prêter attention à ce point, mais ça vaut probablement la peine de s’y intéresser.
- Tous les pains asiatiques incluant ces techniques utilisent des farines à pain dont le taux de gluten est déjà très élevé, de 12,5 à 13,5%. Ceci explique le moelleux de ces pains, sans même parler d’ajout de pâte gélatinisée. D’ailleurs beaucoup de recettes de pain de mie japonais – le fameux shokupan – n’incluent aucun tangzhong ni yudane et sont pourtant très moelleux.
- De même, tous ces pains utilisent un TH (taux d’hydratation) élevé, aux alentours de 70%, ce qui favorise déjà beaucoup le moelleux tant recherché, sans ajout de pâte gélatinisée.
- La mie de ces pains japonais est souvent montrée comme « filante », à l’instar de certaines brioches chez nous. Je ne pense pas que cela soit dû au tangzhong ou au yudane. Par contre le façonnage des pâtons, toujours un peu particulier, avec une sorte de feuilletage y est, à mon avis, pour beaucoup. D’ailleurs, si l’on regarde la manière dont sont façonnées nos brioches à mie filante, on se rend compte qu’elles sont toujours tressées.
- Enfin dernier point ou « secret » expliquant le moelleux du shokupan, c’est la température de cuisson relativement basse, entre 160 et 180 °C. Tout le contraire de nos baguettes croustillantes qui cuisent à 250°C !