Lorsque l’on s’intéresse à la pizza, on trouve une grande disparité de recettes de pâte, en particulier pour ce qui concerne le taux d’hydratation et la durée du pointage, sans compter celles sans pétrissage. Alors, qu’en est-il exactement ?
Le taux d’hydratation
l’AVPN (Associazione Verace Pizza Napoletana) préconise un Th variant de 0,55 à 0,59. Mais cet organisme préconise aussi une cuisson au four à feu de bois dont la température doit être de l’ordre de 480 °C. Dans ces conditions, la pizza est cuite entre 60 et 90 secondes. Dans un four domestique dont la température n’excède jamais 300 °C, la pizza va cuire au minimum 6 fois plus longtemps et aura donc bien plus le temps de se dessécher. C’est pour cette raison que j’opte d’emblée pour un taux d’hydratation plus élevé, de l’ordre de 0,70. On verra plus tard s’il faut l’augmenter encore un peu, jusqu’à 0,75 par exemple.
Les temps de repos
Les temps de repos préconisés que l’on trouve dans la littérature ou sur le web varient de 2 à 72 heures, voire même 96 heures. Les vrais pizzaïolos ne raisonnent que fermentation longue. D’autres moins scrupuleux « débitent » de la pizza sans s’encombrer de ces raffinements. La raison invoquée pour des temps de repos très élevés est une maturation de la pâte et donc un développement des arômes de celle-ci, comme pour le pain. Mais pour une pizza, est-ce justifié ? Pour les puristes, certainement, mais pour le vulgum pecus ?
Les données de base
Elles sont simples : ayant fixé le taux d’hydratation de manière autoritaire, on va faire varier le temps de repos et donc, la quantité de levure. Plus le temps est long et moins il faudra de levure. C’est normal : moins nombreux, ces micro-organismes mettront plus longtemps à « manger » une même quantité de farine. En diminuant ou en augmentant la quantité de levure, on obtient une pâte qui lèvera plus ou moins vite : il n’y a aucune conséquence sur le volume pris par la pâte elle-même qui sera le même dans tous les cas. Ici, j’ai choisis les temps de repos suivant : 72 heures, 48 heures, 24 heures, 12 heures et 3∼4 heures.
La procédure
Pour plus de régularité, la pâte sera pétrie à l’aide du robot Kenwood, avec un frasage d’une minute à la feuille, puis un pétrissage de 6 à 7 minutes, jusqu’à obtenir une pâte lisse qui n’adhère plus aux parois du bol. Ensuite, on ajoute 15 ml d’huile d’olive (1 cuillère à soupe) et on laisse tourner le robot jusqu’à ce qu’elle soit complètement absorbée (la pâte se décolle à nouveau des parois). Puis on ajoute la seconde cuillère à soupe que l’on laisse à nouveau complètement absorbée. L’absorption des 30 ml d’huile d’olive prend une quinzaine de minutes, soit un temps total de frasage/pétrissage d’environ 25 minutes. La pâte obtenue est lisse, homogène et non collante. Une fois la pâte pétrie, on la divise en pâtons correspondants à la pizza que l’on souhaite réaliser : par exemple 220 g pour une pizza « assiette » de 29 cm de diamètre. Les pâtons sont déposés dans des bacs individuels fermés par un couvercle, filmés au contact puis mis à pointer soit à température ambiante, soit la plupart du temps au froid. Avant utilisation, il faut les sortir 2 heures avant pour qu’ils reviennent à température ambiante (une heure n’est pas suffisant). Cette manière de faire (division avant pointage) est très importante car on utilise ici une farine de force qui rend la pâton pratiquement non façonnable après boulage tellement il est résilient (la pâte revient à sa position initiale quand on l’étire). Seul un long repos va « détendre » le pâton et permettre un façonnage aisé.
La recette
Comme indiqué, on utilise une farine italienne de force, faite à partir de blé originaires de la province de « Manitoba » au Canada d’où son nom. Il s’agit d’une farine « Manitoba » tipo « 0 » équivalente à notre T65, dont la force boulangère, notée « W », est supérieure à 280 et dont le taux de gluten (13.5 %) est bien plus élevé que nos farines habituelles. Mais il n’y a pas que la proportion de gluten qui compte, il y a aussi sa qualité intrinsèque qui donne à la pâte ses qualités rhéologiques (élasticité, extensibilité). A titre indicatif, on peut classer les farines selon leur qualités rhéologiques :
- les farines biscuitières, W de 100 à 150.
- les farines boulangères artisanales, W de 150 – 220.
- les farines boulangères industrielles, W entre 220 et 280.
- A partir d’un W supérieur à 280 et jusqu’à 410, on parle de farine de force
On trouve facilement ces farines dans les épiceries italiennes, ou sur internet.
Pour des raisons de comparaison, on a utilisé ici la même farine pour tous les temps de levée, ce que les puristes nous reprocheraient : plus le temps est long, plus il faut une farine de force, et conséquemment, plus le taux d’hydratation devrait augmenter. Ici, le taux d’hydratation est fixé à 0,70 en incluant la quantité d’huile. Cela donne :
Temps de repos | Farine Manitoba | Eau | Huile | Sel | Levure sèche | TH | Div. avant pointage | Pointage | Poids de pâte |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
72h | 400 g | 250 g | 30 g | 8 g | 2 g | 0,70 | Oui | Froid | 690 g |
48 h | 400 g | 250 g | 30 g | 8 g | 3 g | 0,70 | Oui | Froid | 691 g |
24 h | 400 g | 250 g | 30 g | 8 g | 4 g | 0,70 | Oui | Froid | 692 g |
12 h | 400 g | 250 g | 30 g | 8 g | 5 g | 0,70 | Oui | Froid | 693 g |
3-4 h | 400 g | 250 g | 30 g | 8 g | 5 g | 0,70 | Non | Temp Amb | 693 g |
La réalisation
C’est simple également : on s’y prend 3 jours à l’avance pour la pâte 72 heures, 2 jours pour la pâte 48 heures, 1 jour pour la pâte 24 heures, le soir de la veille pour la pâte 12 heures et le matin tôt pour la pâte 3/4 heures. Il suffit de prélever des pâtons de 50 g, de les bouler et de les laisser, à couvert, au moins 2 heures à température ambiante. On façonne 5 mini pizzas de 12 cm de diamètre que l’on garnit comme une grande : sauce tomate, mozzarella, parmesan. On les cuit toutes en même temps pendant 6 minutes à 275 °C sur une pierre à pizza en position 3 avec un peu de vapeur (20 ml d’eau).
Et le résultat ?
Au risque de décevoir les puristes, les testeurs n’ont pas trouvé de différence de goût très significative entre les pizzas ayant des pâtes avec différents temps de levée. En effet, le goût de la garniture (tomate, parmesan, etc..) masque sans doute ces différences. Il n’a pas été non plus constaté de différence de consistance, de souplesse ou de croustillant.
Conclusion
Je retiens que les pâtes 12 heures ou 3∼4 heures seront parfaites et utilisées de la manière la plus commode pour chacun. J’apprécie la version 12 heures qui permet de faire la pâte la veille au soir, de la faire pointer en portions au réfrigérateur, puis le lendemain matin, de la remettre à température ambiante au moins 2 heures, de la façonner, de la garnir et de la cuire pour une dégustation toute chaude le midi. A noter que cette version n’est pas très éloignée de celle de Jim Lahey (sans pétrissage). La différence tient à ce que la pâte non pétrie a moins de force, et est donc plus facile à manipuler. La pâte pétrie au robot a beaucoup plus de force et il faut prêter attention au temps de détente de la pâte pour la manipuler aisément.
Car c’est le façonnage qui est important : en pizza type napolitaine, c’est à dire en pâte fine et rebord léger, ou en pizza intermédiaire à bord et pâte plus épais, ou carrément en « pizza pan » comme on les aime à Chicago.
Epilogue
Mais alors, que penser de la fermentation longue pour le pain puisqu’elle ne semble pas vraiment apporter un plus à une pizza garnie ? Pour le savoir, c’est simple, il suffit de faire 2 pains seuls, sans sauce, l’un avec une pâte à pizza ayant fermentée 72 heures et l’autre avec une pâte ayant fermentée 3 heures. C’est ce que l’on a fait en réalisant des paninis et des petits pains navette avec ces pâtes. Eh bien, malgré le fait que l’on ait réalisé des pains sans croûte (c’est elle qui apporte tous les arômes de la réaction de Maillard qui la colore), la différence (qui se fait donc essentiellement sur le goût de la mie seule) est très nette : la pâte 72 heures a bien plus d’arômes et une mâche bien plus agréable. La pâte 3 heures parait presque insipide à côté, comme si on comparait un pain blanc de super marché et un bon pain de boulanger. Ouf, il est bien confirmé que c’est la fermentation longue qu’il faut privilégier pour avoir un pain ayant du goût !